Donnant la priorité aux visites et à l’inspection sur le terrain, Kaïs Saïed ne déroge pas à sa politique et passe rapidement, au début de ce nouveau quinquennat, du discours à l’action et entreprend les mesures nécessaires pour endiguer la corruption et le fléau de la dilapidation des biens publics.
Dans le souci de préserver les établissements et entreprises publics qui connaissent d’énormes difficultés en raison de la mauvaise gestion, le Chef de l’État, muni de dossiers, a multiplié les visites inopinées aux quatre coins du pays. De la raffinerie de sucre de Béja en passant par la Société nationale de cellulose et de papier alfa (Sncpa) à Kasserine et la Société tunisienne de sidérurgie El Fouladh à Menzel Bourguiba (Bizerte), le double message du Président de la République est bien clair. Les entreprises publiques ne sont pas à céder et les responsables qui ont causé la banqueroute de certaines d’entre elles, à l’instar de la Société tunisienne de l’industrie laitière (Stil), seront poursuivis par la justice. Kaïs Saïed n’a eu de cesse de répéter à ce propos que «les entreprises publiques ont été souvent délaissées et en proie à la dilapidation et à la négligence pendant des décennies».
Corruption au grand jour et pillage systémique
La lutte que mène le locataire de Carthage contre la spoliation des biens de l’Etat a été et sera son cheval de bataille pour ce quinquennat, comme en témoigne sa visite inopinée effectuée mercredi dernier à Henchir Chaâl à Sfax, qui est considéré comme la deuxième plus grande oliveraie dans le monde. En effet, cette propriété de l’Etat qui en assure la gestion, s’étend sur une superficie de 5187,24 hectares et emploie 435 agents permanents et 385 travailleurs occasionnels. Toutefois, et à l’instar de la majorité des entreprises publiques dans le pays, Henchir Chaâl connaît actuellement certaines difficultés. Un réel trésor dont l’Etat est privé.
La visite de Kaïs Saïed a dévoilé au grand jour l’ampleur de la mauvaise gestion des ressources et du parc matériel qui a considérablement impacté la productivité dans cette entreprise. Dans une vidéo montrant le Président de la République avec l’un des responsables du parc, Kaïs Saïed pointe la vente aux enchères de 37 tracteurs agricoles pour la modique somme de 167 mille dinars. La visite du président a permis aussi de constater que des équipements acquis d’un pays étranger ont été très vite mis hors service en raison d’un flagrant manque d’entretien.
Les responsables dans les entreprises publiques se cachent toujours derrière la pénurie de pièces détachées pour assurer la maintenance de leurs équipements, mais la réalité est tout autre. Elle nous mène à l’expression typiquement tunisienne de «rizk el bilik» bien connue chez nous, qui est souvent avancée dans nos discussions pour légitimer la spoliation du bien public. L’intérêt national est ainsi sacrifié sur l’autel de la mauvaise gestion et de la corruption.
Lors de cette visite, Kaïs Saïed a dévoilé au grand jour la corruption financière et administrative à Henchir Chaâl, et n’a pas hésité à évoquer le vol de certaines pièces détachées et de carburant, en plus de la baisse du taux de production annuel d’huile d’olive et de la diminution de sa capacité opérationnelle. Ce type de pillage ne concerne pas que Henchir Chaâl, mais malheureusement la majorité des entreprises publiques convoitées par le privé. Le Président de la République est catégorique à ce propos, il a affirmé, lors de cette visite inopinée, qu’il n’est pas question de céder les biens du peuple tunisien et que la guerre contre la corruption se poursuivra sans relâche.
Les têtes commencent à tomber
Les manifestations de mauvaise gestion et de corruption ne concernent pas que Henchir Chaâl, mais aussi d’autres entreprises qui ont fait l’objet de visites inopinées du Chef de l’État, à l’instar de la Société nationale de cellulose et de papier alfa (Sncpa) à Kasserine, la raffinerie de sucre de Béja.
D’autres sociétés nationales qui affichent des dettes énormes sont dans le collimateur de Kaïs Saïed, mais il est grand temps que les hauts responsables et en particulier les membres de l’équipe gouvernementale quittent leurs bureaux, mettent la main à la pâte et arrêtent de passer leur temps à brasser du vent.
«Les entreprises publiques ont tendance à être vulnérables aux problèmes de gouvernance et de clientélisme. La performance des entreprises publiques en Tunisie souligne qu’elles souffrent en général de problèmes liés à leur gouvernance interne et externe», relève un rapport publié par la Banque mondiale.
Elles jouent un rôle prépondérant dans le développement de l’économie nationale. Veiller à leur pérennité constitue donc un véritable défi auquel l’État s’attelle à relever. Ni le Livre blanc publié en mars 2018 se rapportant à la réforme des entreprises publiques, ni le «Guide de gouvernance et d’intégrité pour les entreprises publiques» élaboré par l’Institut arabe des chefs d’entreprise en avril 2020 n’ont été en mesure d’apporter des solutions concrètes aux gros maux de ces entreprises. La raison était bien connue.
La lutte contre la corruption faisait office en ces années de simple façade et n’avait pas d’impact réel.
L’approche actuelle dans la lutte contre la corruption au sein des entreprises publiques s’appuie principalement sur l’appareil de la justice. «Ceux qui ont failli à leur mission devront en assumer la responsabilité»,
a martelé le Chef de l’Etat. D’ailleurs, l’homme d’affaires et président du Club sportif sfaxien Abdelaziz Makhloufi a été arrêté dans le cadre de la poursuite des investigations dans une affaire, selon un communiqué publié hier par le CSS sur les réseaux sociaux. Son avocat, Jawhar Laadhar, avait affirmé auparavant, dans une déclaration à une radio privée, que les investigations, sous l’ordre du parquet du tribunal de première instance de Tunis, étaient en rapport avec le dossier de Henchir Chaâl. Le nombre de personnes suspectées dans le cadre de cette enquête s’élève actuellement à sept.
Outre les sanctions et les poursuites judiciaires, on s’attend donc à la prise de certaines mesures suite à cette visite qui devraient mettre en garde et en alerte les hauts responsables à la tête des entreprises publiques. Ces derniers sont appelés plus que jamais à redoubler d’efforts en matière de gestion, de contrôle et de suivi dans ces moments forts où le pays tente de dépasser avec ses propres moyens la crise économique. «Il faut bâtir une économie nationale basée sur la création de richesses, à la lumière de choix économiques nationaux issus de la volonté du peuple. De ce fait, il sera possible de réaliser ce qui était considéré comme un rêve ou comme relevant de l’impossible», avait souligné le Chef de l’État lors de son discours d’investiture prononcé au Palais du Bardo en octobre dernier.
Justement, tout commence par une lutte acharnée contre la corruption et la mauvaise gestion au sein des entreprises publiques.